Je commence à avoir envie de terminer mon cycle de couleurs et aujourd’hui j´en lancerai deux d´un coup sur la toile pour conclure : le jaune et le gris.
Avant d´oublier, je tiens à passer une information – en particulier aux lectrices et lecteurs catalans – car elle m´a bien fait plaisir lorsque je l´ai apprise lors d´une récente formation : le concours des Mots passants organisé chaque année par l´Université Autonome de Barcelone a pour thème et contrainte d´utiliser des adjectifs et expressions liées…aux couleurs ! Donc, voilà, je crois que si vous avez suivi les derniers posts, vous avez un petit coup de pouce pour les utiliser à bon escient dans vos créations…:-) Je vous laisse ici le lien vers les bases du concours : concours Mots passants
Je crois que j´ai expliqué à peu près toutes les expressions qui entrent dans ce concours et il manque juste « faire grise mine » , par laquelle je vais commencer donc. Revenons d´abord aux bases : avoir bonne mine ou mauvaise mine c´est la première impression que vous donnez sur votre forme – physique ou psychique, si vous êtes en bonne santé. « Oh tu as bonne mine dis-moi ! », pour quelqu´un que vous voyez arriver souriant, le teint hâlé et qui semble « péter la forme » (=aller très bien, dans le registre familier). Par opposition, « tu as mauvaise mine« ou « tu as une petite mine en ce moment » signifie que la personne n´est pas très en forme, a l´air faible, un peu déprimée, pas en très bonne santé, quoi ! Et c´est là qu’arrive notre « tu fais grise mine » puisqu’on peut bien imaginer que lorsqu’on vire au gris, ce n´est pas bon signe. La mine désignerait plus ou moins le visage – ou l´aspect que l´on a en général. Faire grise mine à quelqu´un, c´est aussi accueillir ou traiter quelqu´un avec froideur. Cela veut dire que la personne est de mauvaise humeur, maussade. Pas dans un bon jour en somme…
Alors la personne faisant grise mine pourrait facilement aller se griser = s´enivrer ! Cependant l´expression est plutôt au sens figuré, s´enivrer « psychologiquement », ce qui a l´avantage d´éviter la gueule de bois le lendemain. Je me souviens d´une jeune femme, quand j´étais enfant, qui expliquait à mes parents que le ski alpin, c´était « grisant » et moi je ne comprenais pas ce qu´elle voulait dire, avec tout ce que je voyais autour de moi blanc comme neige ! Maintenant je sais qu´elle voulait parler de la sensation vertigineuse et enivrante de glisser sur les pistes…
Pour les intellectuels, cela peut être grisant aussi d´utiliser sa matière grise = son cerveau, avec toutes ses neurones dedans en train de danser la polka ! Par ailleurs, être une éminence grise, désigne un conseiller secret qui influence les décisions prises par un homme de pouvoir.
Enfin, on a l´expression « La nuit tous les chats sont gris » signifiant que dans l´obscurité on peut facilement confondre et mélanger les objets, personnes ou animaux et que toute différence ou singularité est annulée. Ce qui résulte d´un phénomène explicable scientifiquement (la réaction de notre rétine dans la pénombre) conduit à ce phénomène de confusion générale où tout peut être dissimulé.
Passons au jaune : l´expression la plus courante sans doute serait « rire jaune » : quand on rit jaune, c´est qu´on est mal à l´aise, qu´on se force à rire et à faire comme si on trouvait ça drôle mais qu´intérieurement on éprouvait de la colère, du dépit ou qu´on se sentait vexés. C´est donc un rire hypocrite. Souvent on attribue de façon erronée cette expression au « rire asiatique » – et pour avoir vécu un an en Chine, je peux en effet attester que les Chinois vous disent souvent non avec un large sourire et en riant, si bien qu´on ne sait pas toujours sur quel pied danser – mais en réalité ce jaune-là viendrait de la bile, qui, lorsqu’on est de mauvaise humeur ou contrarié, remonte au visage et le teinte de cette couleur. Le rouge trahit nos émotions tandis que le jaune tente de les dissimuler. Ce qui, par contre, revient réellement aux asiatiques c´est le « péril jaune », expression de la fin du XIXème siècle traduisant la peur que les peuples d´Asie surpassent les Blancs et gouvernent le monde.
Le jaune est alors souvent la couleur de la fausseté, de la trahison, voire du déshonneur conjugal, il est notamment couramment mis en relation avec l´adultère. N´offrez jamais de roses jaunes à une femme, c’est une offense ! Le jaune est la couleur des cocus. Un mari « peint en jaune » est trompé par sa femme. On peut d´ailleurs aussi trouver l´expression être jaune de jalousie, moins courant pourtant qu´être vert de jalousie. Qui comporte le risque de « franchir la ligne jaune » (=aller trop loin) et de casser toute la fine porcelaine héritée de la vieille grande-tante en faisant une scène de ménage à l’italienne. Cette ligne jaune est francophone, et dans le monde de la diplomatie on se plie facilement à la « ligne rouge » internationale.
Conclusion : le gris et le jaune, ça va assez bien ensemble mais ce ne sont pas des couleurs de très bon augure sur notre palette de peinture ! Si, en plus, vous vous mettez à fumer du gris (=tabac ordinaire, souvent celui qui est à rouler) et vous servez un « petit jaune » (=pastis) pour vous consoler de toutes ces mésaventures et humeurs maussades, vous en perdrez jusqu’à votre santé ! Non, résolument, autant se mettre au vert et voir la vie en rose...
Sur ce et en achevant donc ce cycle d’expressions colorées (bien qu’il y en ait encore bien d’autres !), bonne chance à tous ceux qui se lanceront dans le concours des Mots passants ! Je vous laisse aussi cette jolie planche d’images réalisée par des enfants d’une école primaire en France (Le Cheylas) où les élèves ont illustré plusieurs des expressions figées que nous avons expliquées ces derniers mois. Une bonne façon aussi de les retenir 😉