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Registres : comment dire « Estem farts ! » en français du plus formel au plus familier ?

dessin de "sauce chocolat"Aujourd´hui je parlerai des registres de langue : quand on apprend le français, on commence par le langage courant, standard. On aborde le registre soutenu et le ton plus formel quand on vous avertit de certains usages (le vouvoiement, la façon de s´adresser à une personne âgée, son supérieur hiérarchique etc) ou lorsqu´on commence à rédiger des lettres formelles, dans le domaine  professionnel par exemple (les fameuses formules à la fin des lettres de motivation « je vous prie d´agréer…patali patala mes salutations distinguées/sentiments respectueux », cas dans lequel même les Français avisés devraient toujours avoir sous la main un vieux livre de « bonnes manières » pour savoir quelle formule est la plus adéquate – en effet, l´usage a généralisé certaines formules qui, auparavant, étaient très codifiées en fonction du rapport hiérarchique qu´entretenaient les deux interlocuteurs. Ainsi nos piètres « salutations distinguées » n´étaient pas appropriées pour le quidam vers son supérieur sinon l´inverse. Bref, même si ce registre est finalement peu utilisé à l´oral, on en a grandement besoin dans certaines circonstances pour ne pas passer pour un « grossier personnage ».

Enfin, quand on va au cinéma voir un film francophone en V.O ou quand on met les pieds directement dans le pays, on se rend vite compte qu´on a absolument besoin du 3ème registre : le registre familier. Car une phrase comme « Je ne sais pas » est plus souvent prononcée par le commun des mortels « J´sais pas » (prononcez « chepa ») ou l´invitation « on organise un dîner ?» plutôt formulée ainsi : « On s´fait une bouffe ? ».

dessin d´Isabelle Glaster

En prenant pour toile de fond la manifestation de demain, je vous propose donc aujourd´hui une déclinaison d´expressions pour exprimer sa colère, du registre soutenu au registre le plus familier (voire vulgaire). Notre pivot sera l´expression commune : «On en a marre ! »

Soutenu :

« Vous nous  voyez fort las de cette situation ! »

« Tout cela nous éreinte/accable au plus haut point ! »

(notez que ceux qui emploient ce langage ne se plaignent peut-être pas des mêmes choses qu´une personne lambda mais qui sait…)

Standard :

« On en a assez ! Ça suffit !»

« On en a par-dessus la tête ! »

« La coupe est pleine ! », « C´est la goutte d´eau qui fait déborder le vase » dessin sur eu.org

Familier :

« On en a marre ! », « Y´en a marre ! » (= « il y en a marre » en toutes lettres…), “Basta !” (ah oui, vous me direz, c´est aussi peu français que « Ciao » mais…tout autant employé !)

« On en a plein le dos ! » (ou…l´élément corporel un peu plus bas que le dos, cf plus loin 😉 )

  • Beaucoup d´expressions avec « ras » qui désigne une unité de mesure signifiant qu´un récipient a atteint sa limite sans déborder (pensez à un verre rempli « à ras bord » comme ça :  )

 « On en a ras la casquette ! » ou « ras la patate ! » ou encore…d´origine plus vulgaire (mais très très couramment employé et sans que personne ne se souvienne du premier sens de ce « bol ») : « Ras le bol ! » = « Ras le cul !».

Voilà, je pense que vous avez assez d´expressions pour aujourd´hui (et pour demain !). Ne croyez pas pour autant que je vous encourage à parler de plus en plus grossièrement en français, ce blog a une valeur informative et culturelle 😉

Marre

Dessin de Thal

Je termine par cet extrait d´Ulysse from Bagdad, où le narrateur parle très joliment de son père qui passe d´un registre extrême à l´autre !  J´en profite d´ailleurs pour vous recommander ce livre et son auteur, Eric-Emmanuel Schmitt, tous deux excellents.  Pour ceux qui ont vu Welcome, l´histoire de cet Ulysse vous rappelera fortement « Bilal-Bazda ».

 « Mon père contribuait à brouiller notre organisation par sa façon de parler. Bibliothécaire, fin lecteur, érudit, rêveur, il avait contracté dans les livres la manie de méditer en langage noble ; à l´instar des lettrés arabes raffolant de poésie, il préférait fréquenter la langue en altitude, là où la nuit se nomme « le manteau d´obscurité qui s´abat sur le cosmos », un pain « le mariage de la farine avec l´eau », le lait « le miel des ruminants » et une bouse de vache « la galette des prés ». Par conséquent il appelait son père « l´auteur de mes jours », son épouse notre mère « ma fontaine de fertilité » et ses rejetons* « la chair de ma chair, le sang de mon sang, la sueur des étoiles ». (…) Or ses périphrases fleuries ne formaient pas des messages clairs ; parce que ses premières formules alambiquées ne rencontraient que bouche bée chez ses interlocuteurs, particulièrement chez nous, sa postérité, le patriarche Saad, agacé, bouillant de colère devant tant d´inculture, perdait patience et traduisait aussitôt sa pensée dans les termes les plus grossiers, estimant que, s´il s´adressait à des ânes, il leur causerait* comme tel. Ainsi passait-il de « Peu me chaut » à « Rien à cirer », de « Cesse de m´emberlificoter, facétieux lutin » à « Te fiche pas de moi, crétin ! ». En fait, mon père ignorait les mots usuels ; il ne pratiquait que les extrêmes, vivant aux deux étages les plus distants de la langue, le noble et le trivial, sautant de l´un à l´autre. »

Eric-Emmanuel Schmitt, Ulysse from Bagdad

couverture du livre Ulysse from Bagdad

*rejeton : façon familière de parler de ses enfants.

* causer = parler

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